Bonjour à tous,
Je me permets de faire de la nécrologie de sujet pour la bonne cause.
Du haut de ma bien maigre expérience en arts martiaux, je souhaiterais clarifier quelques points abordés ici et là dans cet excellent thème qu’est le sabre de style Japonais, l’Histoire qui gravite autour avec un minimum de pédagogie et, je l’espère, sans donner la fausse impression d’étaler ma science.
Déjà, il convient à mon sens de revenir sur le mot "katana" qui en fait ne veut strictement rien dire de ce qu’il éveille chez nous autres occidentaux de choses bien excitantes.
Dans leur amour de la simplicité les Japonais on inventé des mots différents pour désigner le même objet selon la période de l’Histoire où il a été réalisé. D’ailleurs l’étude du Nihonto est l’une des sciences les plus théorisées du monde DEVANT celle des vins c’est dire…
Des gens qui ne se prennent pas la tête quoi ^^
Le sabre Japonais par opposition à l’épée Chinoise (plus proche copine géographique) n’a qu’un seul tranchant, est courbe et souvent nous utilisons le même terme de "katana" pour désigner l’ensemble des formes de lames existantes (wakizashi, etc).
Pour faire simple, l’ensemble des lames tranchantes dites antiques seront appelées katana et les lames de l’époque moderne (après l’ère Edo) seront qualifiées de shinken. Du coup, je mettrai bien mes deux mains à couper que personne ici qui lit ces lignes n’a jamais vu de ses yeux de katana en dehors d’un musée… et encore puisque ces lames sont considérées comme des trésors nationaux au Japon (au même titre que la Joconde chez nous) et sont interdites de sortie du territoire national pour vous dire !
Du coup, même si pour la suite il m’arrivera d’utiliser le mot "katana" pour que tout le monde sache de quoi on parle, vous saurez maintenant que ce terme est un faux ami
Sans prétentions aucunes, je vous livre ma petite liste d’assertions sur lesquelles il conviendrait à mon sens d’apporter quelques précisions. Ne vous offusquez pas si vous reconnaissez certaines de vos remarques, je ne vise absolument personne et tient juste à faire partager mon amour pour le sujet abordé.
Sans dépenser un bras tu n’auras rien de valable : VRAITout dépend de ce que l’on entend par "valable" évidemment mais pour rester objectif les critères devraient toujours être les mêmes :
- résilience (ne pas casser, ne pas tordre)
- équilibrage (selon que l’on cherche une lame de coupe ou une lame d’entraînement)
- finitions (quoi qu’on en dise)
On va en parler plus loin mais grosso modo c’est le triptyque classique auquel on s’attache pour des raisons parfois techniques et souvent personnelles.
Je veux un sabre de coupe donc il me le faudra avec le centre de gravité déporté vers le kissaki par opposition avec un sabre d’entraînement où je dois l’avoir plutôt vers la tsuba pour des raisons évidentes (de coupe pour l’un et de risques d’entorses ou de tendinites pour l’autre).
Après chacun y va de son tarif ou de son estimation ; une chose est claire cependant lorsque l’on aborde la question du point de vue du secteur marchand (donc exit les potes forgerons ou les amis autodidactes) : à moins d’un SMIC vous n’aurez strictement rien de "valable" point.
On peut en discuter des heures, ça ne changera rien.
Parfois même pour une lame forgée en dehors du Japon et selon le degré de finition (type de forge, trempe sélective, polissage, etc) on commence à partir de deux SMICs lame nue (c’est à dire juste la lame).
Je ne parlerai même pas des lames forgées au Japon par des assistants ou les apprentis d’un Tosho car les lames forgées par le Tosho lui-même oubliez, vous avez bien mieux à faire pour le prix d’une voiture ^^
Sans entraînement qui va bien tu risques plus ta vie que celle des autres : VRAIBasiquement, n’importe quel pratiquant vous le confirmera, utiliser un outil dont on ne sait pas se servir conduit à présumer de ses forces (ou des capacités de son outil) et cela conduit invariablement à l’échec.
C’est un peu comme le débat sur la possession d’arme à feu en fait : si on en a une mais que l’on ne sait pas s’en servir, cela peut être dangereux pour nous avant d’être dangereux pour les autres. On peut au mieux se blesser soit-même en manipulant, au pire se faire blesser par autrui si l’on en perd le contrôle… ce qui arrive fatalement quand on ne sait pas s’en servir… technique de retourner les armes de son agresseur contre lui appliquée à nos dépens ^^
Maintenant, cela n’est pas vraiment un argument contre le sabre Japonais en général puisque le besoin d’entraînement et de familiarisation se retrouve absolument partout et avec tous les outils que chacun sera amené à utiliser. Disons juste que si l’on fait le distinguo entre savoir utiliser et maîtriser alors l’écart de temps (comparativement avec une perceuse pour le bricolage ou une barre à mine pour le reste) varie de quelques heures à quelques années de pratique
Seuls les vrais katanas sont signés : FAUXÉvidemment qu’une lame signée a plus de chances d’être authentique (fabriquée par quelqu’un et pas par quelque chose). Mais pour des raisons évidentes chacun se doute bien que les petits Chinois (parfois Russes aussi) "signent" leurs belles lames industrielles afin de semer le doute
Cela dit il est arrivé dans l’Histoire que des forgerons Japonais ne signent pas leurs lames.
Soit parce qu’ils datent d’avant le quatorzième siècle, soit parce que le forgeron ne jugeait pas la lame digne de son travail ou de son rang (techniquement il l’avait chiée) soit enfin et paradoxalement parce qu’il la trouvait tellement parfaite qu’il jugeait qu'il n'avait pas "besoin" de la signer vu qu'elle ne pouvait venir que de lui… oui ils n’ont pas la même mentalité que nous les nippons médiévaux…
Quoi qu’il en soit, si vous hantez un forum d’entraide et de partage autour du sujet vous n’avez pas les moyens de tomber même par hasard un jour sur une telle lame
Un katana c’est en acier Damas : FAUXCe n'est pas parce que des sites de vente de chinoiseries ayant pignon sur rue vantent les mérites des lames en (faux) damas qu'ils réalisent pour des sabres d'inspiration japonaise que c'est forcément vrai...
Comme vu en prélude et même si l’apparition du wootz en Inde est bien postérieure aux premiers Nihontos Japonais, l’arrivée de cette technique dans l’archipel date d’après le Sengoku Jidaï et s’appliquera donc d’avantage à des fins d’orfèvrerie qu’aux lames en elles-mêmes.
La confusion vient souvent du fait qu’un acier damas est un mélange de matériaux à la pureté et à la composition différente alors qu’une lame Japonaise peut résulter de la forge par la superposition d’aciers aux propriétés différentes (subtile nuance s’il en est).
Tout cela est d'ailleurs très bien expliqué précédemment par l'intervenant "Invité".
Le sabre est plus efficace que le couteau et plus classe que la machette : FAUXC’est un peu comme dire que la voiture est plus sécurisante que la moto et plus rapide que le vélo… tout en oubliant que la moto est idéale en conditions urbaines et que le vélo ne tombe jamais en panne d’essence.
C’est le genre d’affirmation que je trouve inutilement gratuite et si individuellement centrée qu’il n’est même pas besoin de la commenter d’avantage pour en démontrer la fausseté.
Un bon sabre tranche comme un rasoir : FAUXPlus c’est tranchant, plus c’est fragile. C’est une question de physique élémentaire peut importe le soin mis à la trempe sélective. Comme le dit avec une pointe d’ironie un Tosho que je connais : une lame forgée n’est pas un sabre laser.
Chacun se souviendra d’une scène ayant en son temps marqué les esprits dans le film Bodyguard avec Keviiiin et la regrettée Whitney où, sans autre concours que celui de la gravité, un sabre tranche un foulard qui ne fait que négligemment lui glisser dessus…
Cette image est terrible en vérité car elle a foutu en l’air dix siècles de vérité historique… bien avant que l’occident ne démocratise les films de Kuraosawa ou de Koizumi (où ces malheureux furent bien obligés de glorifier en le mythifiant le seul objet de culture nationale que les bordels américains de la seconde guerre leur ont laissé… merde, on avait dit pas de politique
).
Sans me sentir obligé de convaincre les derniers irréductibles, je rappellerai au curieux que si dans le battodo (héritier du tameshigiri) on sélectionne avec rigueur les objets à découper c’est bien pour ne pas déglinguer la lame… ou plus précisément le tranchant de celle-ci ! Car même si le mune ou le plat est destiné à dévier les coups (jamais les parer ça n’existe pas en sabre Japonais arrêtez avec ça), dans la vraie vie Michonne aurait dû jeter son sabre 15 fois avant la saison 6 de Walking Dead...
Un sabre peut trancher un os : VRAIEn fait le sabre ne tranche pas lui-même c’est le coup de main du pratiquant qui fait que le sabre va trancher l’os par l’action combinée de l’impact et du kiritsuke (action de trancher). D’ailleurs l’os n’est pas littéralement tranché au sens strict par la lame, il est coupé, cassé, plus ou moins nettement selon que le geste soit réalisé plus ou moins correctement par l’intervenant.
En position de départ Jodan no Kamae l’impact du sabre sur une coupe type shomen est proche des 200Kg répartis sur l’épaisseur du fil de la lame… aucun organe, tendon, muscle ou même os ne résiste à cela. En fonction des katas il existe des coupes dites Kiri kudashi (ou coupes finales) mettant fin au combat en cassant la boîte crânienne et ressortant sous la ceinture... en passant par toutes les étapes intermédiaires que les fans de biologie niveau 6ème connaissent très bien. C’est ce que l’on appelle ouvrir en deux l’opposant et cela est parfaitement impossible à réaliser si l’on croit naïvement (surtout après avoir regardé des vidéos sur Youtube) qu’un sabre se manie comme une hache.
Cela fait partie des mille et unes choses que l’on apprend lorsque l’on pratique au dojo (ou dans une école).
Les Samouraïs se sont fait éclater par des Portugais avec des fusils : FAUXÀ la fin du Sengoku Jidai ce fut un véritable massacre. L’ensemble des Européens (ou de leurs parties dans le désordre) ont été jetés à la mer à grands coups de pieds au cul et pas un seul Portugais vivant ne resta du temps de Tokugawa. Seul demeura un pauvre comptoir Hollandais (toléré car les protestants ne faisaient pas de prosélytisme).
Une des nombreuses légendes occidentales sur la mythification du sabre Japonais nous vient d’ailleurs de cette époque où, se battant sur une obscure plage pour des raisons que l’Histoire n’a pas retenues (fin du commerce Nanban pour les uns, pacification des barbares pour les autres), un coup de sabre chanceux d’un Samouraï trancha en deux l’arquebuse d’un soldat Portugais. Cela ira durablement enrichir la légende de notre côté du monde… sans qu’il ne soit jamais question du "recyclage" de la lame en question
Pour apprendre à manier le sabre il faut faire du Kendo : FAUXLe Kendo apprend à frapper mais c’est le Iaïdo qui apprend à trancher.
Un bon pratiquant de Kendo arrivera au mieux à piquer ou a faire des bleus à ses opposants puisque ce ne sera jamais qu’une sorte d’escrime orientale où les frappes et touches (comme chez nous) sont favorisées.
Le Iaïdo a d’ailleurs été "créé" car le corpus de membres éminents de la ZNKR s’apercevait que les gens n’avaient plus conscience de ce que le shinaï représentait et ne savaient plus couper (action de trancher). Depuis les années 60/70 on encourage justement les Kendokas à se mettre au Iaïdo afin de leur faire "comprendre" les fondamentaux qui leur échappent dans leur pratique. En ce sens aucun pratiquant sérieux d’une discipline ou de l’autre ne s’affranchit que la pratique de l’un ou de l’autre…
Généralement seul le manque de temps ou les finances conduisent les pratiquants à ne pratiquer que l’un et pas l’autre.
Un katana/sabre/épée n’est pas adapté à l’auto-défense : VRAIOn ne va pas digresser de ce genre d’assertion dans la situation actuelle puisque cela n’aurait absolument aucun sens. Mais même lorsqu’on se place dans une logique d’effondrement ou de rupture durable de normalité, les faits sont cruels :
- c’est encombrant
- c’est voyant
- ça ne fait qu’une seule chose
- ça ne le fait bien que si on sait parfaitement s’en servir
Dans les moments les plus improbables où deux "spécialistes" s’affronteraient (fanboys de Gregory Widen levez-vous) le moment le plus dangereux du "duel" (mort de rire ceux qui croient encore aux combats à un contre un seront les premiers à mourir) c’est celui où le sabre sort de son fourreau après c’est de la littérature (ou du cinéma selon le support).
Je terminerai, si vous me le permettez, sur une bien malheureuse constatation : aujourd’hui (et demain) le katana ne servira qu’à flatter l’ego de celui qui le possède.
C’est une bien belle arme historiquement riche et engagée qui n’a strictement plus aucun intérêt en défense personnelle depuis l’invention des armes modernes.
Voilà j’espère que je ne vous aurais pas trop ennuyé avec cette petite digression et je vous remercie de m’avoir lu.
Je souhaite vous avoir donné envie d’en savoir d’avantage sur ce fantastique objet que peut être le sabre Japonais. C’est une œuvre d’art à part entière lorsque l’on prend le soin de s’y intéresser et d’y rechercher le travail des différents corps de métiers nécessaires à sa réalisation complète.
Au-delà des motivations et de la raison d’être de ce forum, il est toujours plaisant pour moi d’en parler.